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Échouer au bord du canal de l’Ourcq, à Pantin, dans le nord de Paris, un gigantesque vaisseau de béton. Le Centre national de la danse. Héberger tant bien que mal par les scènes nationales et les opéras, la danse était jusqu’alors un art sans lieu.

Depuis l’ouverture du centre en 2004, plus de 8000 mètres carrés sont à la disposition des chorégraphes, des enseignants et des danseurs qui pratiquent leur art, ignorant que le lieu qui les accueille a plus de 40 ans et une toute autre vie derrière lui.

Les danseurs sont loin d’imaginer que le tribunal d’instance du département occupait alors un des studios de répétition. Le commissariat de police de la Ville. L’actuel foyer des danseurs et le centre des impôts, un des studios publics.

Construit en 1972, le bâtiment a échappé de peu à la démolition. Il doit sa survie à une opération architecturale un peu particulière qu’on appelle une réhabilitation réhabilitée. C’est mettre un terme aux critiques au mépris et reconnaître la valeur d’un objet. Après une période de discrédit ou d’oubli attribué, un nouvel usage à un bâtiment qui n’en a plus s’est décidé de reconsidérer un patrimoine, de préserver une mémoire, ici, celle d’une oeuvre emblématique des années 70.

À l’origine, ce bâtiment était un centre administratif dans les années 60, le maire communiste de Pantin décide de doter sa ville d’un nouvel équipement où seront regroupés tous les services d’État jusqu’alors dispersés dans la ville, la Sécurité sociale, la Bourse du travail, la médecine du travail, un commissariat de police, un tribunal, une maison des syndicats, un chenil, une morgue, un restaurant pour le personnel.

le centre nacional de la danse Jacques Kalisz

Le terrain choisi longe le canal de l’Ourcq. C’est une parcelle étroite, triangulaire, située à quelques mètres de l’hôtel de ville et des moulins de Pantin, c’est là que le maire décide d’élever le centre administratif, la plus grosse opération de la commune jamais entreprise, et c’est à Jacques Kalisz, un étudiant en architecture sensible aux théories marxistes, qu’il donne carte blanche pour réaliser cet équipement inédit Kalisz a alors 40 ans, n’a encore rien construit et n’a toujours pas passé son diplôme d’architecte.

le centre nacional de la danse Jacques Kalisz

C’est grâce à la complicité de Jean Perrottet, qui signe le permis de construire à sa place, que Kalisz va pouvoir se lancer dans ce grand chantier qu’il occupera plus de dix ans. Le bâtiment qu’il conçoit à deux visages, côté canal, il s’étire tel un grand paquebot sur près de 150 mètres, côté ville sa masse traduit l’ambition sociale du maire et de l’architecte, qui veulent marquer le rôle symbolique de ce projet singulier, imprégné du souffle des utopies progressistes. Une cité dans la cité faite pour tous, pour mieux vivre ensemble. Mais pour Kalisz, cet enjeu politique doit se traduire dans la forme même de son bâtiment qui l’oppose dans uns vis à vis symbolique, au pastiche de l’architecture classique de l’hôtel de ville tout proche

Les bâtiments officiels ressemblent tous à une architecture du 18ème, du 19e. Moi, je me suis dit qu’on ne devait pas singer le modèle bourgeois, mais au contraire sans arracher. J’ai conçu le centre administratif comme un manifeste, une rupture franche.

Je savais bien que les gens du quartier ne comprendraient pas. Je leur ai mis ce gâteau devant le nez pour leur dire c’est en votre nom, même si vous n’en voulait pas. C’est en votre faveur que je conteste l’architecture bourgeoise. Je veux qu’on invente, nous, contestataires de ce monde, une nouvelle manière de lutter à travers l’architecture et l’art.

Le combat de Kalisz s’inscrit dans un courant architectural, le brutalisme, qui apparaît en Angleterre dans les années 50 avec un jeune architecte gauchiste, Peter Smithson, qui se fait appeler Brutus en hommage au cruel héros qui a poignardé César pour sauver la République. Le brutalisme milite pour la réunion des fonctions dans les bâtiments. Il désigne une architecture massive et géométrique aux formes pures, en opposition frontale avec tout courant pittoresque, académique ou passéiste.

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Considéré par ses détracteurs comme une esthétique d’entrepôt, de brutalisme a évolué vers un véritable style architectural où seule compte la vérité constructive, la force d’expression, des matériaux toujours laissés à l’état brut et la violence des formes. Le centre administratif de Pantin est l’exemple le plus abouti de l’architecture brutaliste en France. Mais pour Kalisz de dessin de ces façades n’est pas seulement un geste plastique crânement affirmé, il renvoie avant tout à l’organisation intérieure du bâtiment.

Distribué plus d’une trentaine de services, tous autonome, tous de tailles différentes, certains nécessitant une grande capacité d’accueil comme la Sécurité sociale ou le commissariat. D’autres, comme la morgue nettement moins, fut une vraie gagère.

L’architecte fut laissé libre dans l’affectation des très nombreuses fonctions du centre, d’un côté, il a réuni les services de l’Ordre du contrôle, impôts, tribunal, commissariat, à l’autre extrémité, les services sociaux et la Maison des syndicats, entièrement ouvert sur la ville, à la proue du vaisseau, distingué par un escalier saillant qui servait de tribune publique aux militants.

le centre nacional de la danse Jacques Kalisz

Les agents de l’État au Service de la police et de la justice ont été relégués à l’arrière du bâtiment avec pour seul vis à vis de quelques vieux entrepôts.

La polarisation politique du bâtiment ne saurait être mieux dite.

Pour obtenir le permis de construire, j’avais dessiné une façade simple, classique, avec des poteaux. Je me disais si je complique les choses, on ne va jamais y arriver, ça va traîner. Mais dès qu’on a eu le permis de construire, j’ai immédiatement tout redessiné. La nuit, je me réveillais et j’ai dessiné des formes sur ma cuisse. Quand je trouvais l’idée bonne, je me précipiter à ma table d’architecte, c’est comme ça que j’ai inventé ces façades.

  • le centre nacional de la danse Jacques Kalisz
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L’image qu’il projette rompt radicalement avec ce qui se fait à l’époque, les fameux mur rideau sans relief, habillant les immeubles de bureaux et les sièges d’entreprises, luttant contre la banalité des équipements des années 70 Kalisz à transpercer ses façades en projetant les volumes intérieurs à l’extérieur, il les a ensuite souligné d’imposants balcons suspendus. Puis, il a imaginé des tabliers de béton aux formes géométriques d’inspiration aztèque, qu’il appelle des totems et dont la fonction était de signaler en façade les principaux services du centre.

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L’architecte aurait voulu qu’un enfant se promenant au bord du canal puisse reconnaître au premier coup d’oeil le service dans lequel son père ou sa mère travaillait. L’idée est belle. Il n’est néanmoins pas tout à fait sûr que l’enfant s’y retrouve. Côté rue, le centre administratif renvoie à une tout autre image un mariage de verre et de béton signalant la façade principale.

L’entrée du centre surprend par son traitement minimaliste. Elle est constituée de deux portes, discrètement nichée dans une vaste structure de plaques de verre géométriques qui dessinent un corps humain désigné en entrée de ce que l’architecte appelle le Palais du peuple.

Mais si le ver était si spectaculairement mis en œuvre, c’est aussi parce qu’il laisse passer la lumière sur l’événement architectural qui attend le visiteur en entrant. 10 000 tonnes de béton brut.

Suspendu, sur plus de 18 mètres occupant entièrement le hall d’entrée, un monumental escalier traverse le bâtiment sur toute sa hauteur. Morceau de bravoure de Jacques Kalisz, véritable monument dans le monuments, pectaculaire ils se déploient en des proportions étonnantes qui barrent à la verticale comme à l’horizontale tous les édifices.

Delphine Léonard

Étudiante - Ecole Nationale d'Architecture et de Paysage de Bordeaux

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